Suivre la productivité des développeurs : un enjeu clé pour les organisations
La question de la productivité des développeurs est un sujet récurrent qui suscite de nombreux débats au sein des équipes techniques et managériales. Comment évaluer de manière juste et efficace la performance des équipes de développement ? Quels outils et méthodes existent aujourd’hui pour mesurer cette productivité, tout en respectant la complexité de ce métier ? Entre critiques, approches méthodologiques et exemples concrets, explorons les différentes facettes de cette problématique.
Pourquoi mesurer la productivité des développeurs ?
Pendant longtemps, les départements techniques ont échappé aux indicateurs de performance. Alors que le commercial, le marketing ou les ressources humaines sont souvent mesurés avec des objectifs clairs, les Chief Technical Officers (CTO) ont cherché à appliquer des outils similaires pour les équipes de développement. L’informatique est aujourd’hui au cœur des stratégies d’entreprise, nécessitant des investissements considérables. Mesurer la productivité des développeurs répond à un besoin de justifier ces investissements et d’optimiser les ressources allouées.
Cependant, cette quête de mesure n’est pas dénuée de critiques. Les développeurs eux-mêmes s’interrogent sur la pertinence d’une telle évaluation : s’agit-il d’améliorer sincèrement la collaboration, ou avoir les leviers pour réprimander les collaborateurs?
Les critiques de la mesure de productivité
La loi de Goodhart : l’indicateur qui fausse le comportement
La loi de Goodhart illustre bien les dérives possibles d’une mauvaise mesure. « Quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure. » Par exemple :
- Mesurer les story points réalisés ? Les développeurs peuvent gonfler leurs estimations.
- Compter les tickets résolus ? Les tâches peuvent être artificiellement découpées.
- Analyser le nombre de bugs traités ? Les devs chercheront des tâches faciles.
En focalisant la mesure sur des critères trop précis, on risque de détourner les efforts des objectifs initiaux, au détriment de la qualité et de l’innovation.
Individuel vs Équipe : un débat essentiel
Une autre critique majeure concerne le choix de la granularité de la mesure. Faut-il mesurer les individus ou les équipes ? La communauté agile privilégie les métriques collectives pour encourager la coopération. Mesurer la performance individuelle peut instaurer une culture de compétition toxique et nuire au moral des équipes.
L’effort et l’output, mais pas l’outcome
Un autre point soulevé est la distinction entre l’effort (travail accompli), l’output (résultat produit), et l’outcome (valeur créée). Par exemple, produire une fonctionnalité ne garantit pas qu’elle apportera de la valeur commerciale ou satisfera les utilisateurs finaux. Les approches traditionnelles, comme celle défendue par McKinsey dans son étude controversée « Yes, you can measure software delivery productivity », se concentrent souvent sur l’output, négligeant l’impact réel.
Trois principaux frameworks pour mesurer la productivité des développeurs
DORA : mesurer les capacités de livraison logicielle
Le framework DORA (DevOps Research and Assessment) évalue la capacité d’une équipe à délivrer du logiciel grâce à quatre métriques :
- Lead Time : temps entre la validation du code et le déploiement.
- Taux d’échec des changements : fréquence des incidents après mise en production.
- Fréquence des déploiements : régularité des livraisons.
- Temps moyen de récupération (MTTR) : délai pour résoudre un incident en production.
Ces indicateurs, concrets et mesurables, permettent de comparer les équipes à des standards sectoriels. Toutefois, comme l’expérience chez un acteur majeur de la livraison de colis en France le montre, ils dépendent fortement du contexte. Une faible fréquence de déploiement peut s’expliquer par un cycle d’évolution stable ou des contraintes externes, sans que cela reflète une mauvaise performance.
SPACE : une approche holistique de la productivité
Le modèle SPACE, proposé par Dr. Nicole Forsgren (auteure des métriques DORA), élargit la perspective en incluant des dimensions plus qualitatives. SPACE se compose de :
- Satisfaction et bien-être des développeurs : questionnaires et feedbacks.
- Performance : qualité du code, du produit et respect des délais.
- Activité : volume de travail accompli (commits, tickets, etc.).
- Communication et collaboration : fluidité des interactions.
- Efficacité et flow : état de concentration optimale des développeurs.
Chez Scaleway, une entreprise française spécialisée dans le cloud, le framework SPACE a été adapté pour inclure des questionnaires réguliers et des mesures automatisées. Ce modèle offre une vue plus humaine et réaliste de la productivité.
DevEx : l’expérience des développeurs au centre
Le framework DevEx se concentre sur trois axes principaux :
- Boucles de rétroaction : mesurer l’efficacité des échanges et processus.
- Charge cognitive : évaluer l’impact des interruptions et des réunions.
- État de flow : analyser la capacité à travailler dans un état de concentration profonde.
L’objectif de DevEx est d’améliorer l’expérience des développeurs pour augmenter naturellement leur productivité. Par exemple, réduire la charge mentale liée aux réunions excessives permet d’améliorer la qualité du travail.
Retour d’expérience chez un acteur majeur de la livraison de colis en France : une approche pragmatique
L’évaluation de la productivité a été abordée de manière collaborative et bienveillante. L’équipe a choisi de se concentrer sur trois critères :
- Qualité du code : vérification via des outils comme SonarQube.
- Qualité de la documentation : cohérence et complétude.
- Couverture des tests : équilibre entre nécessité et valeur ajoutée.
L’approche s’est voulue simple et contextuelle. Les mesures ne sont pas utilisées pour sanctionner, mais pour identifier des axes d’amélioration et garantir un meilleur confort de travail pour les développeurs.
Les enjeux futurs : une mesure constructive et équilibrée
Mesurer la productivité des développeurs est une démarche complexe, mais potentiellement bénéfique si elle est menée avec intelligence et transparence. Voici les principaux points à retenir :
- Prioriser la santé des équipes : une équipe motivée et épanouie est plus performante.
- Valoriser l’outcome : au-delà du volume de code, mesurer l’impact réel sur l’entreprise et les utilisateurs.
- Adapter les mesures au contexte : il n’existe pas de solution universelle. Chaque organisation doit définir ses propres indicateurs.
Enfin, il est essentiel de garder à l’esprit que ces mesures doivent servir les développeurs eux-mêmes et non devenir un outil de pression managériale.
Conclusion
La productivité des développeurs est un sujet délicat qui nécessite une approche équilibrée entre mesure quantitative et compréhension qualitative. Les frameworks tels que DORA, SPACE et DevEx apportent des outils concrets, mais leur efficacité repose sur leur adaptation au contexte et leur finalité constructive. Mesurer pour s’améliorer, et non pour contrôler, reste la clé d’une démarche vertueuse.